Font Estramar est le nom d'une résurgence karstique, à l'extrême nord du pays, après Salses, sur le bord de l'étang, à quelques centaines de mètres de la Porta dels Països catalans, et à quelques kilomètres de Fitou dans l'Aude. Aujourd'hui elle se trouve près de l'autoroute, mais on peut y accéder par la D900 par un tunnel qui passe par-dessous.
J'en ai découvert l'existence grâce au dernier livre de l'hydrogéologue Henri Salvayre1. De fait, il s'agit de la curiosité hydrogéologique la plus importante de la Catalogne Nord, bien que comme beaucoup cela faisait des années que j'y passais à 130 à l'heure sans même le soupçonner.
C'est une cavité, aujourd'hui inondée, qui s'est formée au Messinien, c'est-à-dire il y a entre 7,2 et 5,3 millions d'annés, quand le niveau de la mer Méditerranée était plus bas — au point même d'être totalement asséchée à un certain point. Les plongeurs en ont cartographié 2750 m ; la plus grande partie du réseau de trouve entre 20 et 50 m, mais dans la partie nord l'équipe de Cyrille Brandt est descendue jusqu'à 160 m sous le niveau de la mer. On suppose que cette galerie pourrait s'enfoncer jusqu'à 300 m. L'endroit semble être assez connu dans le monde de la plongée souterraine ; jetez un œil à cette vidéo d'une plongée à Font Estramar, et à cette page web dédiée au site.
Ce système karstique débouche également à Font Dama, un peu plus au sud, sous la «sagne» d'Opoul2. Cette résurgence est plus discrète, je n'ai pas su la localiser sur le terrain, et de plus la plus grande partie de la sagne est verrouillée par des propriétés privées. Quand le karst est trop plein, on peut observer des résurgences temporaires à Cases de Pena, plus à l'ouest, au bord de l'Agly. Il est alimenté principalement par des pertes de l'Agly et du Verdouble, ainsi que par le lac temporaire du plateau d'Opoul, qui se perd littéralement dans des cavités nommées « barrancs ». Le karst constitue une réserve inespérée pour des villages tels que Cases de Pena et Opoul, et illustre la singularité du Roussillon en ce qui concerne sa situation hydrique. Bien qu'il y ait déficit jusqu'à 700 m d'altitude (c'est-à-dire que l'évaporation l'emporte sur les précipitations), nous jouissons d'un régime « fluvial » exceptionnel grâce aux Pyrénées, et surtout de formations géologiques favorables, telles que le karst inondé dans cette zone des Corbières, et les nappes libres et captives dans le reste du Roussillon.
Curieusement, quand j'ai goûté l'eau, je l'ai trouvée quelque peu salée, peut-être une contamination de l'étang durant les dernières pluies3 ? Sur les photos, on peut observer la vasque de la source, qui correspond à une ancienne entrée de la grotte, qui s'est effondrée. Il est difficile d'en estimer la profondeur depuis le bord, et logiquement ce n'est donc pas visible à l'image. La présence de la source contraste avec le paysage des Corbières, globalement arides, d'autant plus qu'elle est assez importante : son débit d'étiage est de 2,5 m3/s. L'eau alimente une pisciculture de l'autre côté de l'autoroute, plus près de l'étang.
Henri Salvayre, Le livre des eaux souterraines des Pyrénées catalanes, Trabucaire, Canet en Roussillon, mars 2010. ↩
Il s'agit d'une sorte de marais flottant, constitué de phragmites. ↩
Mise à jour : en fait il s'agit d'une caractéristique de cette eau, liée à la crise de salinité messinienne. ↩